Thème 3 - L’action oblique et l’action paulienne
Travail à faire :
- Commentaire d’arrêts
- Dissertation juridique : action oblique et action paulienne
I- ELEMENTS DES ARRETS
- 1er arrêt : Civ. 1ère, 8 juin 1963, JCP. 1965, II, 14087, note R. Savatier
- Faits : à la suite d’une séparation de biens[1] prononcée entre les époux X, un créancier du mari a demandé que soit fixé le montant de la rémunération dû à l’époux X (son débiteur) en qualité de directeur dont l’épouse X était propriétaire[2].
- Procédure : les juges du fond (instance et appel), accueillant favorablement la demande du créancier, ont décidé que la femme était redevable à son mari à concurrence de 3.664 F à titre de rémunération pour mandat salarié et fixé à 2.000 F la rémunération mensuelle de X. sûrement, Madame X s’est pourvue en cassation.
- Problème : un créancier peut-il valablement exercer tous les droits de son débiteur à la place de ce dernier ? en d’autres termes, n’existe-t-il pas des droits exclus de la possibilité pour le créancier de se substituer à son débiteur vis à sis des débiteurs de ce dernier ?
- Solution : le juge de cassation, invoquant l’article 1166, constate que, si la loi autorise le créancier à exercer les droits et actions de son débiteur insolvable et négligent, elle confine exclue cette possibilité lorsque lesdits droits et actions sont « exclusivement attachés à la personne ». en conséquence, il décide que, le créancier, en exigeant que l’épouse détermine le salaire de l’époux, exerçait une action exclusivement attachée à la personne, qui ne pouvait pas prospérer.
- 2nd arrêt : Civ. 1ère, 17 octobre 1979, JCP. 1981, note Ghestin.
- Faits : après s’être porté cautions[3] solidaires des dettes de la société Gilbin et Cie. Auprès de la BNP, les époux Gilbin ont vendu à Maurice Laurant, leur beau-frère, la nue-propriété de tous leurs biens immobiliers.
- Prétentions : la BNP soutient que cette vente doit être déclarée inopposable à son endroit.
- Procédure : la cour d’appel a débouté la BNP de sa prétention au motif que la BNP ne rapportait la preuve de la fraude commise par ses débiteurs. Pourvoi fut alors formé par la BNP.
- Problème : est-il nécessaire pour le créancier qui invoque le bénéfice de l’article 1167 CC d’apporter au préalable la preuve de la fraude de son débiteur ?
- Solution : sous le visa de l’article 1167 CC, la cour de cassation précise que la fraude exigée par le texte susvisé résulte de la seule connaissance par le débiteur du préjudice qu’il cause au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité. Qu’ainsi, ayant admis que les époux Gilbin aient pu savoir que le compte-courant de la société débitrice, était débiteur au moment de la vente, la cour d’appel qui exigeait en outre, que le créancier démontre la fraude du débiteur (laquelle résidait dans le constat établi) a violé le texte sus visé.
II- ELEMENTS DE LA DISSERTATION : ACTION OBLIQUE ET ACTION PAULIENNE
En principe, le créancier ne peut réclamer l’exécution de son obligation qu’à son seul débiteur. Dans certains cas cependant, le législateur a reconnu au créancier la possibilité d’attraire en justice non son propre débiteur, mais, le débiteur ou le cocontractant de son débiteur. Nous étudierons les deux hypothèses générales posées par le législateur.
D’une part, lorsqu’une personne dispose de droits contre un tiers mais sait que le produit de leur exercice sera aussitôt absorbé par ses propres créanciers, de sorte qu’il ne fera que transiter entre ses mains, et qu’elle n’en profitera pas personnellement, il est fort à craindre qu’elle ne se montre pas enthousiaste à en poursuivre le recouvrement[4].
D’autre part, si en général le débiteur est insolvable parce qu’il est vraiment indigent, il arrive pourtant, que cette insolvabilité soit le produit de ses actes frauduleux.
Dans tous ces deux cas il est certain que le comportement du débiteur (négligence de recouvrer ses propres droits dans le 1er cas et volonté d’organiser ou d’aggraver son insolvabilité dans le 2nd cas) peuvent sérieusement causer préjudice au créancier. C’est pourquoi la loi a octroyé à ce dernier certaines prérogatives ayant pouvant lui permettre de protéger ses intérêts. Dans le 1er cas, le créancier dispose en vertu de l’article 1166 CC de la possibilité d’ « exercer tous les droits et actions de leur débiteur à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne », c’est l’action oblique. Dans le 2nd cas, il est permis au créancier, agissant en son nom personnel et pour vaincre la malhonnêteté de son débiteur d’ « attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits », c’est l’action paulienne.
Un constat se dégage a priori, ces deux actions servent la cause des créanciers en permettant de remédier à la négligence d’un débiteur ou à sa malhonnêteté. Mais, pour autant, ont-ils le même régime juridique ? c’est en vue de répondre à cette question que nous les confronterons tant au niveau de leurs domaines et de leurs effets.
Petit tableau comparatif des actions oblique et paulienne
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Action oblique (Art. 1166 CC) |
Action paulienne (Art. 1167 CC) |
Qualité du créancier agissant |
Représentant du débiteur (la loi dit qu’il « exerce tous les droits et actions du débiteur »). |
A titre personnel (la loi dit « ils peuvent aussi, en leur nom personnel… »). |
Nature des actions |
Tant l’action oblique et l’action paulienne s’analysent en fonction des circonstances, soit comme des actes conservatoires, soit comme des mesures d’exécution. |
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Objectifs |
Protection contre la négligence ou l’incurie du débiteur |
Protection contre la fraude ou la malhonnêteté du débiteur
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Domaine |
Les droits et actions du débiteur Exclusion des droits et actions exclusivement attachés à la personne[5] ; les droits extrapatrimoniaux[6] et certains droits patrimoniaux[7]. |
Actes juridiques faits par le débiteur[8] Exception : les paiements[9], les partages de succession et de communauté, les jugements[10], les droits éminemment personnel |
Conditions |
En commun, les deux actions pour être exercées ont besoin que l’insolvabilité du débiteur soit constatée[11], que la créance soit certaine, liquide et exigible, rôle indifférent du titre exécutoire, pas besoin de mettre en cause le débiteur, que le débiteur soit insolvable. |
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La date de la créance est indifférente, négligence du débiteur, pas de limites quant aux droits et actions que le créancier peut exercer relativement au montant, l’inactivité du débiteur. |
Nécessité d’antériorité de la créance du créancier agissant[12], limitation aux seuls actes juridiques, nécessité d’une fraude du débiteur, action limitée au montant des droits du créancier agissant, preuve de la contribution de l’acte à l’insolvabilité du débiteur, peu importe que la créance soit ou non à terme (l’insolvabilité du débiteur entraînant déchéance du terme Art. 1188 CC) |
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Effets |
Bénéfice commun à tous les créanciers (on dit que le créancier poursuivant ne fait que tire les marrons du feu ; il agit seul, mais son action profitera à tous les autres créanciers s’il en existe), opposabilité des exceptions[13]. |
Bénéfice personnel, inopposabilité des exceptions. Mais, le tiers poursuivi peut invoquer le bénéfice de division ayant pour effet de contraindre le créancier qu’après avoir vainement poursuivi le débiteur. |
Prescription |
Le créancier ne peut plus exercer les droits et actions du débiteur si ces derniers sont prescrits. |
En droit commun, prescription trentenaire. |
TCHABO SONTANG Hervé Martial
ATER, Droit Privé, FSJP Université de Dschang
[1] La séparation des biens est une décision prise, généralement sur l’initiative de la femme commune en biens, lorsque le désordre du mari est de nature à mettre en péril la communauté. Elle est aussi d’office prononcée à l’occasion de la séparation de corps des époux communs en biens (Art. 311 CC).
[2] Dans le cas d’espèce, il faut comprendre qu’avant la séparation des biens, les époux, communs en biens confondaient leur patrimoine. En principe, la séparation des biens a pour conséquence que chacun soit désormais maître de ses biens. Sûrement, le créancier, en exerçant cette action cherche à faire revenir dans le patrimoine du mari les sommes que son épouse lui doit, en exerçant obliquement une action qui appartient en principe au mari.
[3] Une caution c’est une personne qui s’engage à payer la dette d’autrui (débiteur) si ce dernier n’y satisfait pas à l’échéance. Donc, la caution est une sorte de débiteur de second rand. A ce titre, elle peut aussi se rendre coupable d’actes frauduleux au préjudice du créancier.
[4][4] Benabent (A), Droit civil, les obligations, 11ème édition, Domat Droit Privé, Monchrestien, 2007, P. 605.
[5] Il s’agit pour l’essentiel des droits et actions d’ordre moral et liés à la dignité ou à l’honneur du débiteur.
[6] Le créancier ne peut obliquement exercer les droits extrapatrimoniaux du débiteur, notamment ceux liés à l’état de personnes
[7] Les créanciers ne peuvent acquérir des droits nouveaux pour le compte du débiteur ; ils ne peuvent non plus exercer les droits et actions insaisissables du débiteur telle une pension alimentaire.
[8] Il doit s’agir d’actes ayant eu pour effet de créer ou d’aggraver l’insolvabilité du débiteur. Ne sont donc pas concernés les actes par lesquels le débiteur refuse de s’enrichir (il est maître de son patrimoine et décide d’acquérir ou non de nouveaux droits) telle une donation. Mais, un acte de renonciation (la renonciation supposant en effet que le droit auquel on a renoncé était déjà acquis) est un acte d’appauvrissement, donc attaquable, c’est le cas d’un acte par lequel le débiteur renonce à une succession.
[9] Celui qui paie sa dette ne s’appauvrit pas, il ne fait que soulager son patrimoine en le délestant d’une charge. Ne dit-on pas par ailleurs que ‘’qui paie ses dettes s’enrichit’’ ? Cependant il est des cas où le paiement peut être attaqué en inopposabilité, notamment dans les procédures collectives s’agissant des paiements effectués pendant la période suspecte.
[10] L’interdiction de l’action paulienne contre les jugements est compensée par la possibilité pour les tiers d’attaquer les décisions par la procédure de tierce opposition.
[11] En effet, les deux actions sont des actes d’immixtion. Elles ne sont autorisées que si la situation du créancier l’exige. Le seul intérêt du créancier c’est le recouvrement de sa créance ; ainsi, si le patrimoine du débiteur malgré son incurie, sa négligence ou ses différents actes d’appauvrissement, est toujours solvable, alors ces actions ne seront pas autorisées pour défaut d’intérêt du créancier.
[12] Cette condition est écartée lorsqu’il apparaît que le débiteur a organisé son insolvabilité en prévision d’une créance future. Par ailleurs la jurisprudence interprète très souplement cette exigence. Il n’est pas exigé que la créance ait été déjà exigible au moment de l’acte frauduleux. L’acte est attaquable même au moment où il est passé, la créance du poursuivant n’existait qu’en germe dans le patrimoine du débiteur négligent. « Il n’est pas nécessaire, pour que l’action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été certaine ni exigible au moment de l’acte argué de fraude et il suffit que le principe de la créance ait existé » (Com. 25 mars 1991, Bull., Civ., IV, N° 119).
[13] Ces effets sont la conséquence de ce que le créancier poursuivant dans l’action oblique n’exerce que les actions de son débiteur. Donc, les fruits de cette action ne lui profitent pas directement, ils doivent transiter par le patrimoine du débiteur d’où ils peuvent être saisis par de créanciers privilégiés. Le créancier poursuivant pouvant même au final ne rien avoir. Il devra donc bien calculer avant d’exercer obliquement les droits et actions de son débiteur. De même, puisqu’il n’exerce que les droits et actions de son débiteur, le défendeur à l’action (véritable débiteur du débiteur du créancier agissant) peut lui opposer toutes les exceptions qu’il pourrait opposer au débiteur négligent.
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