La notion de contrat international
THÈME INTRODUCTIF - LA NOTION DE CONTRAT INTERNATIONAL
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« Le commerce est très certainement avec la guerre l’un des points de contacts les plus anciens entre civilisations et peuples distincts »[1]. Il en est ainsi sans doute parce que, par nature, les hommes ne peuvent pas vivre sans s’échanger des biens et des services. Ceux-ci étant produits à divers lieux à travers le monde, les hommes n’hésitent pas à franchir les frontières pour satisfaire leurs différents besoins économiques. Ces transactions transfrontières ont toujours existé comme l’histoire à travers la vie des Carthaginois, « en passant par les grandes foires du Moyen Âge, la route de la soie ou encore le commerce triangulaire de sinistre mémoire ou la révolution industrielle »[2].
L’instrument juridique qui sert de support à ces différentes transactions est le contrat qui, parce qu’intervenant dans le cadre des opérations impliquant plusieurs États, peut prendre le qualificatif d’international. Son régime juridique n’est pas défini par un texte particulier dans la mesure où il n’existe pas un code civil international. Il est même rendu plus complexe par le fait que cette notion ne bénéficie pas d’une définition unanime alors même qu’elle se trouve au cœur du commerce international. en effet, diverses définitions sont proposées, les unes et les autres privilégiant tel ou tel critère positionné comme déterminant. Or, il est toujours important, lorsqu’on traite d’une matière, de bien cerner les contours de son objet, celui-ci étant, dans le cadre de cet enseignement, le contrat international. Les incertitudes sur cette notion peuvent dérouter le chercheur. Il est toujours souhaitable, en effet, que la ligne de démarcation d’une notion d’avec une autre soit reconnaissable pour permettre, le cas échéant, de savoir effectivement quel régime juridique mobiliser.
L’exercice ici, qui ne saurait prétendre parvenir à une définition unique de la notion de contrat international (la diversité des définitions paraît irréductible à cause de la variétés des domaines d’activités couverts par la notion de commerce international), va consister à mettre en lumière les principaux critères généralement retenus tant dans les instruments juridiques pertinents qu’en doctrine ou en jurisprudence (I). Par la suite, l’accent sera mis sur l’intérêt d’une définition claire de la notion étudiée (II), notamment en ce qu’elle permet en fin de compte de distinguer clairement le contrat du commerce international du contrat interne.
I- La diversité des critères
Le commerce international se caractérise « avant tout par son objet économique »[3] ; il est en effet le domaine des relations économiques internationales. Partant de cette considération, la doctrine et la jurisprudence cherchent le critère décisif qui permet de les distinguer des relations économiques internes. Ce n’est cependant pas une tâche facile comme le relève le Professeur Hugues KENFACK qui écrit à ce sujet que : « La distinction entre les relations internes et internationales n'est pas facile à opérer. Les différents systèmes juridiques ne définissent pas clairement les critères de l'internationalité, c'est-à-dire le caractère de ce qui est international. Même la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (en vigueur depuis le 1er avril 1991) n'apporte pas toujours les précisions utiles à cette caractérisation. Certes, il est fréquent d'utiliser les critères élaborés pour les contrats internationaux, notamment :
_ les critères économiques avec deux variantes : l'une classique, issue de la jurisprudence dite Matter[4], décide que « pour être qualifié (d'international), il faut que le contrat produise comme un mouvement de flux et de reflux au-dessus des frontières, des conséquences réciproques dans un pays et dans un autre »[5]. L'autre, plus moderne, décide qu'est international le contrat qui met en jeu les intérêts du commerce international[6] (La notion d'intérêts du commerce international est une notion économique très extensive et élastique dans son contenu. Certains auteurs ramènent cette notion à l'existence d'un mouvement de biens, de services ou de monnaies à travers les frontières. Autrement dit, la relation en cause doit, par ses aspects économiques, intéresser plus d’un État.
Ce critère met un accent particulier sur le développement du commerce international et veille à ne pas compromettre sa croissance par l’application d’une règle qui ne lui serait pas adaptée, voire compatible. C’est sur son fondement que la Cour suprême des États-Unis a sanctionné les juridictions inférieures qui refusaient de reconnaitre le caractère international d’un contrat pour retenir leur propre compétence au lieu d’appliquer la clause d’élection de for qui y était contenu, ce, au mépris des conventions internationales. Pour cette haute juridiction, l'essor et l'expansion de l'économie et de l'industrie américaines ne pourraient être encouragés que par le respect des conventions internationales. Elle concluait au caractère international du contrat litigieux en se basant sur le fait essentiel que l’objet même du contrat consistait en un mouvement d’une plateforme à travers les eaux territoriales de plusieurs pays (à assimiler aux frontières) . (Affaire Zapatra, 1972, http://intercomlaw.typepad.fr/droitinternational/la_notion_de_contrat_international/ ).
_ le critère juridique[7] : le contrat est international s'il se rattache aux normes juridiques émanant de plusieurs États. (Ce critère est fondé sur l’existence des points de rattachement du contrat avec plusieurs systèmes juridiques.
Pour Battifol, un contrat revêt un caractère international « quand, par les actes concernant sa conclusion ou son exécution, ou la situation des parties quant à leur nationalité ou à leur domicile, ou la localisation de son objet, il a des liens avec plus d'un système juridique ». Ce critère a été appliqué par l’arrêt Hecht à l’occasion duquel, pour qualifier le contrat en cause d’international, la Cour s’était appuyée sur les éléments tels le lieu de conclusion, l’objet du contrat et la nationalité des cocontractants. Mais, ce critère va subir la critique de certains auteurs au rang desquels Goldman pour qui, le contrat, comme instrument des échanges et de la production internationaux, comportera nécessairement des points de rattachements multinationaux, mais la réciproque n'est pas toujours vraie. Ainsi le contrat par lequel un producteur de Cavaillon vend des légumes livrables et payables en France, à un épicier Italien de Paris comporte bien un élément d'extranéité; mais serait-il légitime de le classer pour autant dans la catégorie des contrats internationaux, alors que par son objet économique il est exclusivement français).
Si une combinaison de ces critères est possible, c'est toutefois celui de la mise en jeu des intérêts du commerce international qui semble plus approprié pour qualifier les relations internationales, même s'il n'est pas entièrement satisfaisant. La distinction relations internes et internationales reste incertaine même si elle peut avoir des intérêts pratiques »[8].
Si le débat se pose essentiellement sur le point de savoir si le critère doit être économique ou juridique, laissant acquise l’idée selon laquelle l’opération doit en principe intéresser par ses différents éléments plus d’un État (facteur d’internationalité), il est cependant des cas où l’on fait face à une difficulté supplémentaire. En effet, « dans certaines situations, il peut être difficile d'établir une distinction entre les relations internes et internationales. Aux États-Unis, par exemple, comment qualifier les relations entre les opérateurs économiques situés dans des États fédérés différents ? Comment, dans ce cas, distinguer le commerce international du commerce national ? Même en Europe, comment qualifier les opérations intracommunautaires ? »[9]. Finalement, on a l’impression qu’aucun critère ne peut, de façon décisive et générale, permettre de distinguer clairement le contrat international du contrat interne. Bien souvent, entre les deux, il y a des qualifications intermédiaires (contrat régi par le droit communautaire notamment). Il faut par exemple signaler qu’en droit de l’Union européenne, lorsqu’un contrat est entièrement localisé sur le territoire des États membres, c’est normalement le droit issu de cette Union qui s’applique et le choix de la loi d’un État tiers par les cocontractants ne permet pas d’échapper à la législation impérative de droit européen[10].
En certaines matières, la distinction entre commerce interne et commerce international est quasiment rejetée. Il en est par exemple ainsi du commerce électronique qui, par vocation et du fait des caractéristiques des réseaux sur lesquels il s’appuie, rend a priori floue cette distinction. Dans ce contexte, on peut comprendre l’idée selon laquelle la distinction entre le commerce interne et le commerce international est « parfois purement artificielle »[11].
Cette difficulté à cerner le critère décisif de l’internationalité est renforcée par le fait que les différents instruments juridiques internationaux ne font pas preuve d’unanimité ; ils retiennent souvent l’un ou l’autre de ces critères et parfois intègrent une combinaison des différents critères généralement explorés. Ainsi, les instruments juridiques internationaux (notamment, ceux de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CNUDCI)) essaient, chacun en général, de donner à la notion de contrat international un contenu spécifique. Par exemple :
- L’article 5 de la Convention des Nations Unies sur le contrat de transport international de marchandises effectué entièrement ou partiellement par mer (Règles de Rotterdam, Vienne, 2009) indique que le contrat de transport international est celui dans lequel « le lieu de réception et le lieu de livraison, ainsi que le port de chargement d'un transport maritime et le port de déchargement du même transport maritime, sont situés dans des États différents, (…) La présente Convention s'applique quelle que soit la nationalité du bâtiment, du transporteur, des parties exécutantes, du chargeur, du destinataire ou de toute autre partie intéressée ». Le critère ici est donc uniquement que l’opération de transport doit permettre le déplacement des marchandises, d’un État à un autre. Il n’est alors point exigé que le paiement suive le mouvement inverse. Un simple mouvement de flux des marchandises par-dessus une frontière est suffisant. Là, on est assez loin du critère économique pris dans sa conception classique, exigeant alors un mouvement de flux et de reflux (jurisprudence Matter). Bien avant l’adoption et l’entrée en vigueur de cette Convention instituant les Règles de Rotterdam, la Cour de cassation avait déjà révisé la solution Matter en admettant qu’un simple mouvement de flux par-dessus des frontières pouvait donner à un contrat le caractère international. Ce fut dans l'arrêt banque hypothécaire franco-argentine du 14 février 1934 où elle affirma que « Le caractère international d'une opération ne dépend pas nécessairement du domicile des parties et du lieu stipulé pour son règlement, mais de tous les éléments qui entrent en ligne de compte pour imprimer aux mouvements de fonds qu'elle comporte un caractère dépassant le cadre de l'économie interne ». Dans un autre arrêt du 27 avril 1964, la cour de cassation française a été plus précise en relevant que « Le caractère international d'une opération ne dépend pas nécessairement du lieu stipulé pour son règlement ».
- Pour sa part, l’article 1er de la Convention de Vienne CVIM du 11 avril 1980 précise que le contrat de vente de marchandises est international lorsqu’il est conclu entre « des parties ayant leur établissement dans des États différents ». Ainsi, la CVIM définit, pour son application, son propre critère d’internationalité fondé sur l’établissement des parties au contrat de vente de marchandises dans des États différents. Dès lors, la CVIM ne s’applique, par principe, que lorsque le critère ainsi défini est vérifié. L’établissement à prendre en compte pour vérifier l’applicabilité de la CVIM est, comme l’indique une jurisprudence, l’« établissement principal »[12]. À l’instar des règles de Rotterdam, il n’est pas exigé, comme dans la jurisprudence Matter, qu’il y ait un mouvement de flux et de reflux. Mais, les deux définitions ne se recoupent pas ! Par exemple, si un commerçant camerounais situé à Bangui conclut avec un fournisseur sénégalais lui aussi établi à Bangui un contrat de vente d’un conteneur de sacs d’arachides destinés à la revente entreposés à Dakar, lequel doit être transporté par mer pour être livré à Douala, on observera que la vente ne remplit pas le critère (les deux parties sont établies dans un même État) pour relever, en principe, de l’application de la Convention de Vienne CVIM ; pourtant, l’opération de transport qui s’ensuit est bien international (le port de chargement – Dakar - et le port de déchargement – Douala - sont situés dans des États différents) au sens des Règles de Rotterdam. On observe là une illustration de la désharmonie des textes internationaux sur la définition du critère de l’internationalité du contrat. C’est sans doute pour prendre en compte cette évidence que le prochain texte que nous allons présenter a plutôt proposé des critères alternatifs.
- D’après l’article 1, 3) de la Loi-type de la CNUDCI sur l'arbitrage commercial international de 1985 avec les amendements adoptés en 2006, l’arbitrage commercial est dit international lorsque soit, « les parties à une convention d'arbitrage ont, au moment de la conclusion de ladite convention, leur établissement dans des États différents »[13] (critère similaire à celui posé dans la Convention de Vienne CVIM) ; soit, le lieu de l'arbitrage, ou tout lieu où doit être exécutée une partie substantielle des obligations issues de la relation commerciale ou le lieu avec lequel l'objet du différend a le lien le plus étroit est situé hors de l'État dans lequel les parties ont leur établissement ; soit enfin, « les parties sont convenues expressément que l'objet de la convention d'arbitrage a des liens avec plus d'un pays ». Il apparait que le souci de ce texte est de ratisser large en recensant les différents critères proposés par les autres instruments internationaux. Une observation doit cependant être faite sur le dernier critère alternatif qui semble accorder à la volonté des parties le pouvoir de décider du caractère international d’un contrat. En effet, jusqu’à lors, les différents critères proposés mettaient l’accent sur un élément matériel purement objectif (lieu d’établissement principal, port d’embarcation…) et cela se comprend aisément. Le caractère interne ou international du contrat ne doit nullement dépendre de la volonté des parties. Admettre le contraire reviendrait à ruiner l’intérêt de la distinction entre le contrat interne et le contrat international. Par ailleurs, une telle possibilité serait susceptible de favoriser la fraude de la part des cocontractants qui voudraient, en décidant du caractère international d’un contrat, échapper aux règles impératives de la législation interne normalement applicable au contrat en cause.
- Certains textes semblent bien admettre que les parties, par leur volonté, puissent donner une coloration internationale à leur contrat. Il en est ainsi de la convention de Rome[14] du 19 juin 1980, qui, au paragraphe 3 de son article 3, admet l’hypothèse assez curieuse d’un contrat purement interne dans lequel les parties auraient fait figurer une clause désignant un droit étranger comme leur étant applicable en cas de litige. Cette possibilité fait craindre à la doctrine[15], « la création artificielle d’une situation conflictuelle, par l’insertion d’une clause d’electio juris ou d’une clause attributive de juridiction »[16] dans un contrat qui ne s’y prête pas naturellement. Par ailleurs, il est évident que l’application de cette règle peut à terme « ruiner l’autorité de la loi du pays dans lequel le contrat est localisé. Chaque ordre juridique ne constituerait plus qu’un ensemble de dispositions supplétives que les parties pourraient écarter par le choix de la loi d’un autre État »[17]. Pour dissiper cette crainte, l’article 3, § 3 du Règlement relativise la difficulté en précisant que, « lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix des parties ne porte pas atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord ». Autrement dit, cette possibilité pour les parties de choisir de soumettre leur contrat à une législation étrangère ne saurait avoir pour conséquence de leur éviter l’application des normes impératives de l’État dont relève normalement le contrat. « Cette règle reste cependant rarement appliquée car les cas d’internationalisation artificielle d’un contrat interne sont peu fréquents »[18].
- Dans tous les cas, souligne la doctrine, en permettant aux parties de qualifier leur contrat d’international, « l'internationalité n'est pas le présupposé du choix de loi mais sa résultante »[19]. La logique, on le voit bien, est inversée ! Normalement en effet, c’est le caractère international du contrat qui donne aux parties le pouvoir de déterminer la loi applicable et non pas l’inverse. Autrement dit, il ne revient pas aux parties de décider de donner à un contrat un caractère international. Il est d’ailleurs recommandé de ne point qualifier un tel contrat d’international, mais, d’« internationalisé »[20], puisque c’est par la seule volition des parties qu’il accède à l’internationalité (c’est un contrat dont l’internationalité est voulue et non marquée). Il faut évidemment distinguer cette situation de celle du contrat étranger qui est un contrat interne porté, en cas de litige, devant un juge étranger[21]. Le contrat étranger demeure, normalement, un contrat interne.
À ce niveau, on le voit bien, il n’existe point, ni en doctrine, encore moins dans les textes internationaux qu’en jurisprudence, un critère unique de l’internationalité du commerce ou du contrat. En fonction de la nature du contrat (vente, transport, arbitrage, etc.), les textes ont en général tendance à définir des critères spécifiques. Par ailleurs, même pour des contrats de même nature, il peut exister, en fonction des instruments internationaux spécifiques, des critères différents. Par exemple, « il n'existe pas de définition uniforme de la vente internationale » [22]. En fonction des cas donc, il faudra toujours appliquer le critère pertinent (qui, en général, ne saurait résulter du seul fait de l’existence d’un élément d’extranéité comme c’est le cas en DIP), car le caractère interne ou international du contrat présente un intérêt certain pour le régime des droits et obligations des cocontractants.
II- L’intérêt de la distinction entre le contrat du commerce international et le contrat interne
Même si certaines règles ont vocation à s’appliquer indifféremment aux opérations internes et internationales[23], et même si certaines « opérations du commerce international prennent la forme de contrats correspondant à des types classiques (vente, entreprise, mandat...) et [que] les questions que ceux-ci soulèvent, sur le plan juridique, sont loin d’être toujours d’une originalité éclatante »[24], il demeure qu’il est en principe déterminant de savoir si une opération particulière doit être qualifiée d’interne ou d’internationale. En effet, il faut, de manière générale observer que, les enjeux qui se posent dans le cadre du commerce international sont très souvent inconnus dans la sphère économique interne, du coup, se tromper de qualification pour appliquer à un contrat international les règles strictement prévues pour les contrats internes peut produire un effet décevant et déstabilisant.
À titre d’illustration, alors que certaines prérogatives sont admises dans le cadre d’un contrat international, elles ne sont pas possibles dans le cadre d’un contrat interne. Il en est par exemple ainsi de la possibilité pour les parties à un contrat international d’y inclure une clause de désignation de la loi applicable ou de la juridiction compétente. Il faut en effet garder à l’esprit que lorsqu’un contrat est interne, la loi applicable, devant les juridictions étatiques, est la loi dudit État et ses juridictions sont compétentes selon les règles d’organisation judiciaires qui y sont en vigueur. Dans la même logique, il faut se souvenir que la loi d’autonomie n’a pour domaine que le contrat international ; à ce titre, la doctrine souligne clairement qu’elle « est conçue comme un remède à l'internationalité qui frappe le contrat »[25]. Donc, elle n’est pas autorisée dans les contrats internes. Mieux, comme il a été rappelé ci-dessus, ce n’est pas la loi d’autonomie qui donne au contrat son caractère international, mais la possibilité de la définir est une prérogative conséquente de la nature internationale du contrat. C’est dans ce sens que la Convention de La Haye du 15 juin 1955 précisait en son article 1er, al. 4 : que « la seule déclaration des parties, relative à l'application d'une loi ou à la compétence d'un juge ou d'un arbitre, ne suffit pas à donner à la vente le caractère international au sens de l'alinéa 1er du présent article ».
De même, certaines solutions, qui ne sont pas en principe possibles sur le plan interne, sont valables dans le cadre du commerce international. Il en est par exemple ainsi des clauses valeur-or (cette clause stipule que le paiement se fera en or. Elle est généralement insérée dans un contrat international pour juguler le risque des fluctuations monétaires). Il en aussi encore de la soumission des litiges du droit de la consommation à l’arbitrage ; alors qu’en droit français notamment, les clauses compromissoires insérées dans des contrats de consommation sont généralement vues comme étant abusives et donc réputées non écrites, la Cour de cassation a admis la validité d’une telle clause dès lors que le contrat de consommation considéré est international[26]. De même, lorsque le contrat est international, la clause stipulant le paiement en monnaie étrangère est valable. Il faut rappeler la règle selon laquelle, dans le cadre des opérations internes, seule la monnaie nationale est dotée du pouvoir libératoire)[27]. Il en est ainsi même si ce paiement interne intervient entre deux ressortissants étrangers[28] ; cette précision permet aussi de comprendre que la nationalité des parties ne suffit pas à donner à un contrat un caractère international.
Ce dernier aspect constituait d’ailleurs l’un des points litigieux de l’arrêt Pélissier du Besset ayant donné lieu aux conclusions Matter. En effet, la location d'un immeuble avait été donnée à Alger par un anglais a un français, le bail stipulait que le loyer serait payé à Londres (en monnaie anglaise) ou à Alger (en monnaie française) au choix de la bailleresse. Un litige est survenu par la suite. Si la Cour de cassation française cherchait l’exacte qualification du contrat, si elle cherchait à savoir s’il s’agissait en l’espèce d’un contrat interne ou à un contrat international, l’enjeu ne se limitait pas à la qualification qui n’était, à la réalité, qu’une question préalable. La qualification retenue devait alors lui permettre de décider du sort de la clause qui imposait, au gré de la bailleresse, le paiement du loyer en monnaie étrangère, tant une telle clause ne peut valablement être insérée que dans un contrat international. Au terme de l’analyse, par l’application du critère de flux et de reflux proposé par l’avocat général Matter, le juge ayant conclu que le contrat en cause ne présentait nullement le caractère d’un contrat international, décida logiquement de l’invalidité de la clause litigieuse.
[1] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, Droit du commerce international et des investissements étrangers, 2ème édition, LGDJ, Domat Droit privé, 2016, n° 01.
[2] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, Droit du commerce international et des investissements étrangers, 2ème édition, LGDJ, Domat Droit privé, 2016, n° 03.
[3] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, Droit du commerce international et des investissements étrangers, 2ème édition, LGDJ, Domat Droit privé, 2016, n° 2.
[4] Ce critère n’est pas absolu comme le renseigne la jurisprudence de la Cour de cassation française qui a eu à juger, dans l'arrêt Banque hypothécaire franco-argentine du 14 février 1934, que « le caractère international d'une opération ne dépend pas nécessairement du domicile des parties et du lieu stipulé pour son règlement, mais de tous les éléments qui entrent en ligne de compte pour imprimer aux mouvements de fonds qu'elle comporte un caractère dépassant le cadre de l'économie interne ». Dans un autre arrêt, 27 avril 1964, elle précise que « le caractère international d'une opération ne dépend pas nécessairement du lieu stipulé pour son règlement ».
[5] L'arrêt Pelissier du Besset du 17 mai 1927. H. Capitant, commentant cet important arrêt, releva que « pour qu'une créance relève de la circulation internationale, il faut deux éléments: l'introduction d'une valeur ou d'une marchandise dans un pays [et] l'exportation de ce pays d'une valeur destinée à solder le prix. C'est cette double condition qui donne à une convention le caractère international ».
[6] Civ., 19 fév. 1930 et 27 janv. 1931, Mardelé et Dambricourt, S. 1933, I, p. 41, note J.-P. Niboyet. Ce critère est moins contraignant que celui de la doctrine Matter. Il exige juste l'existence d'un mouvement de biens, de services ou de monnaies à travers les frontières, et se satisfait de l'existence d'un flux dont la contrepartie (le reflux) n'est pas nécessairement perceptible. Voir aussi, Cass. Arrêt Tardieu, 1980.
[7] Ce critère est fondé sur l’existence des points de rattachement du contrat avec plusieurs systèmes juridiques.
Pour Battifol, un contrat revêt un caractère international « quand, par les actes concernant sa conclusion ou son exécution, ou la situation des parties quant à leur nationalité ou à leur domicile, ou la localisation de son objet, il a des liens avec plus d'un système juridique ». Ce critère a été appliqué par l’arrêt Hecht à l’occasion duquel, pour qualifier le contrat en cause d’international, la Cour s’est appuyée sur les éléments tels le lieu de conclusion, l’objet du contrat et la nationalité des cocontractants. Mais, ce critère va subir la critique de certains auteurs au rang desquels Goldman pour qui, le contrat, comme instrument des échanges et de la production internationaux, comportera nécessairement des points de rattachements multinationaux, mais la réciproque n'est pas toujours vraie. Ainsi le contrat par lequel un producteur de Cavaillon vend des légumes livrables et payables en France, à un épicier Italien de Paris comporte bien un élément d’extranéité ; mais serait-il légitime de le classer pour autant dans la catégorie des contrats internationaux, alors que par son objet économique il est exclusivement français.
[8] HUGUES KENFACK, ‘’La limitation des textes de la C.N.U.D.C.I. aux relations internationales’’, Petites affiches, 18 décembre 2003 n° 252, P. 75.
[9] Idem.
[10] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, Droit du commerce international et des investissements étrangers, 2ème édition, LGDJ, Domat Droit privé, 2016, n° 162.
[11] Idem.
[12] U.S. District Court, Eastern District of Pennsylvania, États-Unis, 29 janvier 2010, http://cisgw3.law.pace.edu/cases/100129u1.html#ii.
[13] Ce qui rejoint le critère de l’article 1er de la Convention de Vienne CVIM.
[14] Devenu Règlement de Rome.
[15] « Une situation interne par tous ses éléments ne peut être internationalisée par la seule volonté des parties », cf. M. CHAGNY (Dir.), Le Lamy droit économique, 2019, Wolters Kluwer, n° 6698.
[16] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, Droit du commerce international et des investissements étrangers, 2ème édition, LGDJ, Domat Droit privé, 2016, n° 162.
[17] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, idem.
[18] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, idem, n° 162.
[19] Cf. B. FAGES (Dir), Le Lamy du Contrat, 2015, n° 167-27.
[20] Idem.
[21] Un conflit de loi peut naitre dans le cadre d’un tel procès entre la loi du juge saisi et la loi de l’État dont relève naturellement le contrat.
[22] Un auteur relève à ce titre qu’« il n'existe pas de définition uniforme de la vente internationale ». v. M. CARBO, « Le droit positif de la vente internationale », Petites affiches, 11 février 1999, n° 30, p. 4.
[23] Tel est notamment le cas en droit de l’OHADA de l’AU relatif au droit de l’arbitrage qui s’applique indistinctement à l’arbitrage interne et à la l’arbitrage international.
[24] M. AUDIT, S. BOLLÉE et P. CALLÉ, Droit du commerce international et des investissements étrangers, 2ème édition, LGDJ, Domat Droit privé, 2016, n° 3.
[25] B. FAGES (Dir), op. cit.
[26] Cf. Civ. 1re, 30 mars 2004, Bull. civ. I, n° 97 ; citée par H. KENFACK, Droit du commerce international, 5ème édition, Dalloz, Mémentos, 2015, p. 66. Même si la loi n° 2005-67 du 28 janvier 2005 (JO du 1e1 févr. 2005, p. 1648) et la nouvelle rédaction de l'article 2061 du Code civil peuvent conduire à renforcer la suspicion sur les clauses compromissoires insérées dans les contrats de consommation, un arrêt décide de cette validité dès lors que le contrat de consommation est international (Civ. 1re, 30 mars 2004, Bull. civ. I, n° 97) ; Récemment, la loi n° 2014344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a manifesté une suspicion vis-à-vis de l'arbitrage en disposant qu' «est réputée non écrite toute clause ayant pour objet ou pour effet d'interdire à un consommateur de participer à une action de groupe » (C. consom., art. L. 423-25). Cette interdiction ne devrait concerner que l'arbitrage interne et non l'arbitrage international. En effet, « la prohibition des clauses compromissoires dans les actes civils ou mixtes, posée par l'article 2061 du code civil français, n'est pas applicable dans un contrat mettant en jeu les intérêts du commerce international ». cf. Jean-Claude Dubarry et Eric Loquin, note sous CA Paris, 7 déc. 1994, inédit, Soc. V 2000, Soc. Project XJ 220 LTD c/ Renault Jean françois, RTD Com. 1995 p.401.
[27] V. Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN, Traité de droit commercial, Tome 2, 17ème édition, LGDJ, 2004, p. 521.
C’est pour conforter ce pouvoir libératoire que l’article 223 du Code pénal camerounais réprime le refus de la monnaie en ces termes : « Est puni d’un emprisonnement de dix (10) jours à trois (3) mois et d’une amende de mille (1.000) à cent mille (100.000) francs ou de l’une de ces deux peines seulement, celui qui refuse la monnaie ayant cours légal dans la République à concurrence de son pouvoir libératoire ».
[28] Cf. Civ. 1re, 7 octobre 1997, Bull. civ., I, no 268., cite par A. Benabent, Droit civil, les obligations, 15ème edition, Montchrestien, Domat droit privé, 2016, n° 763.
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