Les petites notes

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Les multinationales (Généralités)

Dans le cadre du commerce international, les acteurs peuvent agir individuellement ou sous forme de groupements. Ces groupements peuvent se constituer juste pour réaliser une opération précise sous la forme d’une coopération momentanée à l’instar des joint-ventures et des consortiums, mais, en général, on observe des groupements[1] agissant de manière permanente ou durable sur la scène économique internationale, tel est le cas des multinationales[2].

Une société multinationale est une entreprise qui agit par le biais de plusieurs autres entreprises établies sur les territoires de plusieurs États. Elle réalise des investissements directs à l'étranger (IDE) et possède des implantations dans différents pays. Il ne s’agit donc pas d’une société qui se borne de vendre à l’international, mais en plus, elle doit avoir des implantations dans plusieurs pays et y réaliser des investissements directs.

Dans le cadre du droit communautaire CEMAC, « le terme investissements directs désigne les prises de participation qu’une personne physique ou morale résidente d’une économie effectue dans le but d’acquérir un intérêt durable dans une entreprise résidente d’une autre économie »[3].

Au plan strict, la notion de société multinationale ou de firme multinationale ne renvoie pas immédiatement à une réalité juridique maîtrisée. Des auteurs le font remarquer en relevant que « son importance économique et la réalité qu'il convient de lui reconnaître dans ce domaine n'ont pas encore trouvé de traduction exacte au niveau juridique »[4]. D’ailleurs, on peut observer que sa définition ne met en exergue que le critère économique : le fait que l’entreprise, de par sa stratégie de développement, vise et soit présente sur les marchés de plusieurs États. Par ailleurs, en droit, une société ne saurait être multinationale puisqu’en tout état de cause, elle ne posséderait qu’une seule nationalité (ce, à la différence de personnes physiques, qui, dans certains pays, peuvent avoir plus d’une nationalité). C’est peut-être pour cette raison que certains auteurs saisissent la réalité qu’elle représente sous la notion de « groupe transnational de sociétés »[5]. Il est en effet clair qu’une multinationale est constituée sous la forme d’un groupe de sociétés, lesquelles sont juridiquement distinctes les unes des autres. Le caractère transnational serait propre au groupe et non aux différentes sociétés qui le composent. Car, comme on le verra ci-dessous, chaque société du groupe à une nationalité précise. C’est le groupe, en ce qu’il exerce ses activités par l'entremise de différentes sociétés disséminées dans plusieurs États, qui, finalement manque de nationalité propre[6] et peut être qualifié, de ce fait, de transnational.

Nous pouvons essayer de comprendre la problématique relative aux multinationales en passant en revue certains points :

v La structure :

La société multinationale est un groupe de sociétés et non un groupement de sociétés. La différence entre ces deux notions est que, un groupement suppose l’existence de sociétés n’entretenant entre elles aucun lien structurel, mais, qui, dans un contexte précis, concluent entre elles un accord en vue de la réalisation d'un objet ; alors que, pour sa part, le groupe est caractérisé par l’existence ou la mise en place d’une stratégie globale et permanente (le groupe n’est pas constitué pour la réalisation d’un projet précis) de l’ensemble de sociétés qui le constituent, lesquelles entretiennent ainsi des liens structurels et organisationnels. On observe bien, s’agissant de la société multinationale que ses activités, à travers les différentes sociétés placées sous son contrôle, ne visent pas la réalisation d’un projet précis ; il ne s’agit pas ici d’une association stratégique ponctuelle, mais d’une relation filiative, ce qui permet de donner aux entreprises du groupe le statut de « filiale ». Une telle relation, ou mieux, un rapport de domination (établi dans un groupe de sociétés[7]) est absent dans un groupement comme on peut bien le voir dans le cas des de contrats de co-traitance encore désignés par le terme de consortium[8] ou de contrats de joint-venture lorsque l'activité économique envisagée entre les partenaires est plus durable et ne se trouve pas forcément limitée à un seul projet[9].[10]

v Modes de constitution :

L’étude des sociétés multinationales révèle plusieurs schémas de formation. Deux méritent d’être rappelés ici : la première consiste, pour une société à créer des filiales à l’étranger, la seconde consiste pour une société prospère à prendre le contrôle de sociétés étrangères ou à envisager une fusion. Ce mode de constitution (les prises de contrôle d'une société par une société étrangère) constitue le moyen le plus important afin de constituer des groupes multinationaux[11]. Dans la plupart des cas, afin d’optimiser sa gestion financière, il est créé une holding[12] pour gérer et contrôler les sociétés du groupe. Celles-ci se trouvent soumises d'une façon ou d'une autre à la domination de la première et sont ainsi associées à sa stratégie globale[13]. En droit de l’OHADA, on présume qu’une personne physique ou morale détient le contrôle d’une société lorsqu’elle détient directement ou indirectement ou par personne interposée, plus de la moitié du capital ou des droits de vote en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés de cette société[14]. Dans tous les cas, dire qu’une société exerce un contrôle sur une autre suppose que la première détient effectivement le pouvoir de décision au sein de la seconde[15].

v Fonctionnement :

« Le fonctionnement de l'entreprise multinationale révèle la dialectique permanente entre son unité économique et sa fragmentation juridique »[16]. L’unité économique se caractérise par le fait que, malgré la dissémination des sociétés du groupe dans plusieurs États, il y a un contrôle centralisé exercé par la société mère qui le plus souvent est constituée sous forme de holding. Ce contrôle économique peut s’appuyer sur le fait que, outre la détention de la majorité des actifs sociaux ou d’une minorité de blocage au sein des filiales, elle exerce une maîtrise sur des droits de propriété intellectuelle par exemple. La fragmentation juridique résulte du fait que les sociétés du groupe ayant chacune sa personnalité juridique[17], le régime de son fonctionnement dépendra en général du lieu de son implantation, de la loi de l’État de son lieu d’établissement. En effet, il faut garder à l’esprit que les sociétés relèvent en général de la Lex societatis, or, elle varie d’une filiale à une autre selon qu’elles sont établies sur le territoire d’États différents.

v Nationalité :

Dans un premier temps, il faut relever que la question de la nationalité des sociétés a fait l’objet de quelques débats. Partant de l’idée que la nationalité est un rapport d’allégeance, d’ordre politique, entre un individu et un État, un auteur a contesté qu’elle puisse s’appliquer aux sociétés dans lesquelles il ne voyait qu’un contrat insusceptible de rapports politiques[18]. En face, d’autres auteurs ont opposé une opinion diamétralement opposée. Pour ceux-ci, « les sociétés sont françaises ou étrangères (...). La personne morale est, comme la personne physique, sous la dépendance d'un État. L'exigence d'une nationalité est même plus impérieuse pour elle, car un individu peut ne pas avoir de nationalité : une société en a nécessairement une »[19]. Depuis lors, cette question semble définitivement tranchée en faveur de la thèse de la nationalité des sociétés. En revanche, c’est plus la question des critères d’identification de cette nationalité et de ses finalités qui paraissent désormais faire l’objet de débat. Les critères les plus courants sont ceux du siège social, du contrôle et de la loi ayant régi la formation de la société. Le critère du contrôle suppose que la société à la nationalité des entités qui la contrôlent effectivement. Utilisé en France entre les deux guerres, ce critère est aujourd’hui très relativisé. Si, malgré le contrôle extérieur que la société mère exerce sur filiale étrangère, celle-ci dispose néanmoins d'un minimum d'autonomie d'action ou présente quand même des liens suffisants avec l'économie du pays d'accueil, on lui reconnaitra la nationalité de ce pays[20].

La nationalité de la société a pour fonction, entre autres, de pouvoir permettre à cette dernière de profiter de la protection diplomatique que les États assurent à leurs ressortissants. C’est ainsi que dans une espèce, la Cour Internationale de la Justice de La Haye a justement admis qu’un État pouvait assurer la protection diplomatique des sociétés qui avaient sa nationalité ; par la même occasion, la CIJ a sans doute entériné le critère du siège social en lui ajoutant le critère de la loi régissant la formation de la société comme fondement de la nationalité en décidant qu’il s’agit de « l’État sous la loi duquel la société s’est constituée et sur le territoire duquel elle a son siège social »[21].

v La question des responsabilités :

Du fait que chaque société du groupe ait sa propre personnalité juridique, elle répond de ses actes. Ainsi, une société filiale ne peut être tenue pour responsable des agissements d’une autre société-filiale du même groupe. Un voile social permet en effet de créer une cloison entre les différentes sociétés. Ainsi et à titre d’illustration, pour l'appréciation des conditions d'ouverture de la procédure de sauvegarde, le juge aura seulement égard à la situation financière de la filiale, peu important que la société-mère soit en état de soutenir celle-ci[22].

La jurisprudence prend souvent en compte la réalité du phénomène de société multinationale en étendant pas exemple la responsabilité d’un membre du groupe (filiale) à la société-mère. C’est ainsi par exemple qu’une juridiction a admis, s'agissant de la réparation d'un dommage causé par l'amiante au salarié d'une filiale, que la société mère pouvait se voir imposer, dans des circonstances appropriées, la responsabilité de la santé et de la sécurité des salariés de sa filiale[23].

v La question de leur statut : 

La société multinationale, en tant que groupe de société, n’a pas un statut clairement défini. En effet, en fonction des législations, elle a le statut de groupe de droit ou de groupe de fait. La question de son statut ne peut véritablement être résolue que par une réglementation internationale, or, tel n’est pas encore le cas. En principe, cela a été dit ci-dessus, elle n’a pas, en tant que groupe de société, une personnalité juridique ; par voie de conséquence, elle n’est pas titulaire de droits et d’obligations. Juridiquement donc, elle est une sorte d’ovni. Mais, dans bien de cas, le groupe de sociétés multinational est appréhendé en tant que réalité. D’ailleurs, ils sont aujourd’hui considérés comme des sujets du droit international ou, du moins, comme des acteurs des relations économiques internationales[24]. C’est parce qu’il s’agit d’une réalité que le droit fiscal exonère souvent une société appartenant à un groupe multinational du paiement des impôts en vue d’éviter la double imposition[25].

                                          

Cependant, ce voile social peut être levé s’il apparait aux juges du juge qu’il a été simplement artificiel ou qu’il contribue à faciliter une opération de fraude. Il en sera notamment ainsi si plusieurs filiales d’un même groupe se sont associées pour négocier un contrat ou pour réaliser une opération ; le juge pourra alors décider de lever le voile social et étendre à l'une des filiales le contrat négocié par l'autre[26]. Par ailleurs, en droit du travail, il peut arriver qu’un individu soit employé par une société et finalement affecté dans une autre du même groupe, en cas de contentieux, le juge tiendra également compte de la réalité économique du groupe pour déterminer quelle société a la qualité d'employeur[27].

 

Dr TCHABO SONTANG Hervé Martial,

Chargé de Cours, Droit privé , FSJP - Univ. Dschang

 



[1] Pour la rigueur du discours, certains auteurs distinguent la notion de « groupement » de celle de « groupe ». pendant que les consortiums et joint-ventures seraient des groupements d’entreprises (c’est-à-dire des entreprises réunies dans le but de réaliser une opération commune sans que chacune d’elle perde son autonomie), les multinationales quant à elles sont des groupes de sociétés.

[2] On dénombre actuellement plus de 80.000 sociétés multinationales dans le monde. Il y a 50 ans, on n’en dénombrait que 7.000 environ. Cette forte croissance est due sans doute à la mondialisation. Cf. rapport introductif (vidéo) du Colloque « entreprise multinationale et droit international » organisé par SFDI à l’Université de Paris 8, 19-21 mai 2016.

[3] Art. 86, Règlement n°02/00/CEMAC/UMAC/CM du 29 avril 2000 portant réglementation des changes.

[4] J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, Droit du commerce international, 3ème édition, Dalloz, Coll. Précis Droit privé, 2015,  n° 313, p. 182.

[5] J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, Droit du commerce international, 3ème édition, Dalloz, Coll. Précis Droit privé, 2015,  n° 313, p. 182.

[6] J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, op. cit., n° 333, p. 192 : « Le groupe transnational de sociétés n'étant pas une personne juridique ne peut se voir reconnaître de nationalité ».

[7] C’est ainsi que l’article 173 AUSCGIE précise que « le groupe de société est l’ensemble formé par des sociétés unies entre elles par des liens divers qui permettent à l’une d’elle de contrôler les autres ».

[8] V., Ph. Le Toumeau, L'ingénierie, les transferts de technologie et de maîtrise industrielle, Paris, Litec, 2003, n° 514 s., p. 230 s. ; C.-H. Chenut, Le contrat de consortium, préf. A. Bénabent, LGDJ, 2003.

[9] V., L.-O. BaptistaetP. Durand-Barthez, Les associations d'entreprises (joint ventures) dans le commerce international, 2f éd., FEDUCI, FEC, LGDJ, 1991; V. Pironon, Les joint ventures. Contribution â l'étude juridique dtoi instrument de coopération internationale, préf. Hi. Fouchard, Dallez, 2004.

[10] J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, Droit du commerce international, 3ème édition, Dalloz, Coll. Précis Droit privé, 2015,  n° 315, p. 183.

[11] J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, Droit du commerce international, 3ème édition, Dalloz, Coll. Précis Droit privé, 2015,  n° 316, p. 185.

[12] Holding signifie « société de soutien ». Ce terme est utilisé pour désigner une société purement financière par son activité et son actif qui a précisément pour objet de prendre des participations et d’assurer le contrôle et la direction des sociétés dont elle détient une partie des actions. Cf. G. Cornu, Vocabulaire juridique, v° Holding, 9ème édition, 2012, p. 506.

[13] Paris (1ère ch. suppl.), 31 oct. 1989, soc. Kis France, Rev. arb. 1992. 90. Cité par J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, Droit du commerce international, 3ème édition, Dalloz, Coll. Précis Droit privé, 2015,  n° 313, p. 182.

La stratégie globale du groupe peut consister à organiser le partage des responsabilités et des risques commerciaux entre ses membres, l'optimisation fiscale, la pénétration des marchés étrangers, la recherche de l'application des lois les plus favorables, les coûts de production les plus bas ou de meilleures synergies économiques (Ch.-A. Michalet, L'entreprise plurinationale, Paris, Dunod, 1969; Qu'est-ce que la mon­dialisation ?, La Découverte-Poche, 2004, p. 67 s.)

[14] Cf. art. 175 AUSCGIE.

[15] Cf. art. 174 AUSCGIE.

[16] O. Cachard, op. cit., n° 160.

[17] Par exemple : La qualité de société mère au sein d'un groupe ne saurait, en soi, être considérée comme une base suffisante à l'imputation d'une responsabilité pour les dettes ou affaires d'une filiale. Cf. [17] J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, op. cit.

[18] J.-P. Niboyet, « Existe‑t‑il vraiment une nationalité des sociétés ? », Rev. crit. DIP 1927, p. 401.

[19] Ripert et Roblot, Traité de droit commercial, t. 1, 15e éd. par M. Germain, Paris, LGDJ, 1993, n° 692, p. 572.

[20]                      Req. 24 déc. 1928, S. 1929.121, note Niboyet; Req. 12 mai 1931 (Remington Type-wnters),

[21] CIJ, 5 févr. 1970, aff. Barcelona Traction, Rec. CIJ, 1970, p. 3.

[22] Cass. com., 26 juin 2007, Bull. IV, no 177, D. 2008. pan. 570, obs. F.-X. Lucas ; Cass. com., 8 mars 2011, « La loi de sauvegarde prise à la lettre : à propos de l'arrêt Cœur de défense », note B. Grelon, Rev. soc. 2011, p. 404.

[23]                 Court ofAppeal (Civil Division) 2012 EWCA CIV 525, Rev. crit. DIP 2013. 632 obs. H. Muir-Watt.

[24] J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, Droit du commerce international, 3ème édition, Dalloz, Coll. Précis Droit privé, 2015,  n° 313, p. 183.

[25] V., P SERLOOTEN, Droit fiscal des affaires, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005, p. 225 s. ; v. Directive 2011/196/ UE du Conseil du 30 nov, 2011 concernant le régime fiscal commun appli­cable au* sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, JOUE L 345 du 29 déc. 2011, p. 8.

[26] O. CACHARD, op.. cit., n° 160.

[27] A. Moreau et G. Trudeau, « Les normes de droit du travail confrontées à l'évolution de l'économie : de nouveaux enjeux pour l'espace régional », JDI 2000, p. 913.

 



20/06/2016
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