Les petites notes

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Thème n° 2 - Les délais de procédure

Travail à faire : Cas pratique

Thomas est un jeune débrouillard ayant quelques investissements dans la ville de Dschang. Il y a des années qu’il occupe, pour les besoins de son activité commerciale et en vertu d’un contrat de bail, un magasin appartenant à M. Collant, grand propriétaire immobilier de la place. La relation contractuelle entre les deux hommes a toujours été paisible jusqu’au jour où, voulant louer le même magasin au fils de son meilleur ami, et profitant du fait que, bien qu’ayant gardé son fonds de commerce de Dschang, Thomas réside désormais à Douala où il a développé de nouvelles affaires, M. Collant l’y fait servir une assignation en vue de voir résilier le bail qui les lie. Cet exploit qui est servi à Thomas le 10 janvier 2018 précise que l’audience aura lieu le 16 du même mois par devant le TPI de Dschang.

Comme si cela ne suffisait pas, quatre (4) jours plus tard, alors qu’il se préparait à se rendre à Dschang pour assister à l’audience, il se voit notifier un jugement du TPI de Douala Ndokoti rendu le 21 décembre 2017 à son insu et le condamnant à verser à l’un de ses fournisseurs la somme de 5.300.000 FCFA à titre de réparation de divers préjudices. Il forme opposition le lendemain en assignant son adversaire à l’audience du 29 janvier 2018.

Racontant ses difficultés à son meilleur ami, ce dernier émet des doutes sur la régularité des différents délais évoqués dans les multiples procédures concernant Thomas. Il vient alors vous consulter pour avoir votre avis.

À cette même occasion, il profite pour vous demander de l’aider à cerner les nuances qui existent entre :

-  Délai d’ajournement et délai de rigueur

-  Délai de prescription et délai de forclusion.

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Éléments de réponse

Globalement les problèmes posés par les faits, tels que présentés, sont liés aux délais. Dans le but de donner un avis éclairé à Thomas qui est venu nous consulter, nous examinerons les différents délais mentionnés dans les faits en les regroupant en fonction de leur nature. Il apparait en effet que deux des délais mentionnés sont des délais d’ajournement tandis que l’autre présente la nature d’un délai de forclusion.

 

1°, appréciation des délais d’assignation appliqués.

Le principe en procédure civile est que, entre le moment où le défenseur reçoit l’assignation et la date de sa comparution, un délai minimum doit être impérativement respecté. À propos de la durée de ce délai, l’article 14 CPCC dispose qu’elle est de 8 jours si le défendeur est domicilié dans le ressort de la juridiction compétente et de trente jours pour ceux qui sont domiciliés dans les autres parties du Cameroun..

La lecture de cette disposition permet d’observer qu’il faut bien distinguer selon que le défendeur assigné est établi ou non sur le territoire de compétence du tribunal saisi.

Dans le cas d’espèce, les faits indiquent que Thomas, résidant à Douala, est au centre deux assignations. Si la première lui est servie par son bailleur, en revanche, c’est lui qui est à l’origine de la seconde. Chacune de ces assignations doit être appréciée en tenant compte des éléments qui la caractérisent.

-          Concernant la première assignation, les faits indiquent que l’assignation est servie à Thomas, à Douala, pour comparaître devant un tribunal siégeant à Dschang. Même comme les faits n’ont précisément parlé de domicile, on doit, dans l’impossibilité de déterminer avec exactitude son domicile (il a des intérêts dans ces deux lieux), considérer son lieu de résidence qui est Douala avec pour conséquence que le délai d’assignation applicable dans ce cas est celui de 30 jours.

Or, il ressort des faits que le délai accordé par le bailleur est celui de six jours et donc irrégulier.

-          Concernant la seconde assignation. Il s’agit de celle servie par Thomas dans le cadre de l’opposition qu’il a formée devant le TPI de Ndokoti. En l’absence d’éléments suggérant le contraire dans les faits, on doit considérer que les deux parties sont toutes établies dans le ressort de la juridiction saisie ce qui pour conséquence de rendre le délai ordinaire de 8 jours applicable.

Les faits indiquent à ce sujet que l’assignation servie à l’initiative de Thomas le 15 janvier 2018 indique comme date de comparution le 29 janvier 2018, soit un délai d’ajournement de 14 jours. Étant donné que le délai d’ajournement fixé par la loi a un caractère minimal, ne fait pas mal le demandeur qui fixe un délai supérieur. Par conséquent, le délai d’ajournement pratiqué dans le cadre de cette seconde assignation est régulier.

2°, appréciation du délai d’opposition 

D’après l’article 66 CPCC — Tous les jugements rendus par défaut sont susceptibles d'opposition. Cette opposition n'est recevable que pendant quinzaine, à compter du jour de la signification à personne ; à ce délai s'ajoute celui déterminé aux articles 14 ou 15. La signification faite par l'huissier ou par l'agent d'exécution devra, à peine de nullité, faire mention en caractères très apparents du délai d'opposition de quinzaine et du délai de distance.

La formulation de cette disposition donne à comprendre que le délai qu’elle mention est un délai de forclusion. Son inobservation entraine la déchéance. Pour apprécier la régularité de l’opposition formée par Thomas du point de vue du délai de 15 jours imposé par la loi, il faut partir, non du jour où la décision a été rendue par défaut, mais surtout, du jour de la signification de la décision. Donc, ce n’est pas à partir du 21 décembre que le calcul doit être fait, mais, à partir du 14 janvier. Cela étant, les faits précisent qu’il a formé opposition le lendemain du jour où il a été signifié, soit le 15 janvier.

Le délai de forclusion étant un délai maximal, la formalité accomplie avant son épuisement n’est que régulière. Par conséquent, on doit conclure que l’opposition formée le lendemain de la signification, avant l’expiration du délai de recours imparti est faite dans les délai et donc régulière de ce point de vue.

 

 

Délai d’ajournement et délai de rigueur

Le délai de rigueur impartit au justiciable un laps de temps dans lequel son action doit être exercée alors que le délai d’ajournement « institue une trêve en faveur de l'une des parties au litige »[1] ; cette partie est en général le défendeur. Le délai d’ajournement est un délai minimum légal alors que le délai de rigueur est un délai maximal qui encadre l’action de la partie concernée. C’est ce qui fait encore qualifier le délai de rigueur de de délai d’action et délai d’ajournement de délai d’attente[2].

 

Délai de prescription et délai de forclusion

Le délai de forclusion est le laps de temps accordé au titulaire d’un droit ou d’une action pour agir en justice ou accomplir un acte précis faute de quoi, il sera déclaré forclos. D’après le vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant[3], la forclusion est la sanction qui frappe le titulaire d’un droit ou d’une action, pour défaut d’accomplissement dans le délai légal, conventionnel ou judiciaire, d’une formalité lui incombant, en interdisant à l’intéressé forclos d’accomplir désormais cette formalité sous réserve des cas où il peut être relevé de forclusion. La forclusion ne se confond pas véritablement avec la déchéance. Cette dernière est la perte d’un droit, d’une fonction, d’une qualité, d’un titre ou d’un bénéfice, encourue à titre de sanction, pour cause notamment d’indignité, de fraude, d’incurie. Alors que la forclusion n’est causée que par l’incurie de l’intéressé, la déchéance quant à elle peut résulter d’une indignité.

Pour sa part, le délai de prescription est le laps de temps dont l’écoulement a pour effet l’acquisition d’un droit (prescription acquisitive) ou sa perte (prescription extinctive).

Le délai de prescription a une fonction probatoire (prouver qu’un droit est né ou éteint) alors que le délai de forclusion à une fonction sanctionnatrice (priver celui qui n’a pas agi dans le délai imparti du droit de poser l’acte de procédure concerné). La Cour de cassation française a jadis analysé la prescription comme une présomption, donc comme un mécanisme probatoire[4].

Le délai de forclusion est animé par l’idée de sanctionner un comportement peu diligent.

La forclusion « est très dangereuse car, contrairement à ce qui se passe en matière de prescription, elle menace même les incapables. Quand la déchéance est encourue, le droit lui-même est perdu car l'acte (une déclaration d'appel par ex.) qui devait être accompli dans un certain délai, cesse de pouvoir l'être utilement, le délai étant expire »[5]. En matière de prescription en revanche, la règle est qu’elle ne court pas contre celui qui ne peut agir, « contra non valentem agere non currit praescriptio ».

Aussi, alors qu’en matière civile la prescription est une question d’interêt privé, ne pouvant de ce fait être relevée d’office par le juge, la forclusion quant à elle est une question de droit et, de ce fait, est contrôlée par la cour suprême[6].

Chaque fois qu’un délai a pour fonction de punir civilement un comportement tardif, il s’agit d’un délai de forclusion. Ainsi, tout délai qui n’a pas une fonction probatoire a nécessairement une fonction punitive[7].

Parce que le délai de forclusion n’est pas fondé sur la preuve mais sur la sanction, il ne peut être suspendu, ne peut être aménagé par convention, et ne peut pas être interrompu par la reconnaissance de responsabilité du débiteur. Enfin, la caractéristique positive du régime juridique du délai de forclusion, que ne possède pas le délai probatoire, est le relevé d’office.

 

TCHABO SONTANG Hervé Marial,

Chargé de Cours, FSJP-UDs.



[1] J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, Domat Droit privé, LGDJ, 6ème édition, septembre 2015, n° 231..

[2] Voir, J. Héron et Th. Le Bars, op. cit., n° 231.

[3] 9ème édition mise à jour 2012.

[4] Cass. req. 15 décembre 1829, S. 1830 I, p. 409 : la prescription est une « présomption légale et formelle de libération ». Cité par Frédéric Rouvière. « La distinction des délais de prescription, butoir et de forclusion », Les Petites Affiches, Journaux judiciaires associés, 2009, p.7-11, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01141901/document

[5] N. Fricero et P. Julien, Procédure civile, 5ème édition, LGDJ, Lextenso éditions, octobre 2014, n° 337.

[6] À titre d’illustration, la Cour suprême sanctionne d’office la non-production du mémoire ampliatif par le demandeur au pourvoi dans le délai de 30 jours imparti par la loi : CS. Sect. Civ. arrêt  n° 579/Civ. du 06 octobre 2016, aff. Etablissements NGOUPAMOUN C/ Banque Internationale du Cameroun pour l’Epargne et le Crédit (B.I.C.E.C) (inédit).

[7] cf. Frédéric Rouvière. La distinction des délais de prescription, butoir et de forclusion. Les Petites Affiches, Journaux judiciaires associés, 2009, p.7-11, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01141901/document

 


27/05/2018
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